Les habitudes du monde du basket condamnent-elles les joueurs à la médiocrité?

Les habitudes du monde du basket condamnent-elles les joueurs à la médiocrité?

Avant-propos

C’est une question que je me pose très souvent et que j'ai décidé de partager avec vous au travers de cet article. Je me la pose avant tout à moi, dans ma pratique quotidienne car si les médecins ne doivent pas nuire, les entraîneurs ne doivent pas faire perdre leur temps aux joueurs.

Cet article n’a pas du tout une vocation moralisatrice. C'est une tentative pour comprendre un système qui génère des joueurs en sous-performance chronique et normalisée.

Je ne cherche pas à dénigrer les acteurs (entraîneurs et intervenants), les activités (sportives et paramédicales) ni les structures (clubs, fédération, ligues) mais bien à comprendre et relater pourquoi on ne parvient pas au potentiel maximum des joueurs.

Si vous vous sentez attaqué par cet article à la lecture du titre, prenez du recul : il existe des titres de ce type pour toutes les activités humaines. Pourquoi j'ai choisi ce titre? Parce que la "Médiocrité" en français est un substantif désignant ce qui est moyen. Je ne peux pas écrire « moyenneté » car ça ne se dit pas. La médiocrité est ainsi ce qui désigne les actes moyens. Les actes moyens, c'est justement ce qui génère de la sous-performance chronique normalisée. La "sous-performance chronique et normalisée" est la terminologie que j'ai élaboré pour désigner les joueurs qui n'expriment pas leur potentiel maximum de façon habituelle et normale. Toutes ses joueuses et ses joueurs, passionnés, qui, sans même le savoir, n'atteindront jamais leurs capacités maximales dans le jeu.

  • Comment est-ce que je peux savoir que les joueuses et joueurs n'expriment pas leur potentiel maximum ? Après avoir étudié 500 profils, de joueuses et joueurs, de 12 à 36 ans, du niveau amateur au niveau international, j'ai pu relever des limitations de performances qui les maintenaient en sous-performance dans la quasi-totalité des cas. Très en dessous, un peu en dessous, mais toujours en dessous. Ce phénomène concerne aussi bien les joueurs de club, les joueurs de centre de formation, comme les joueurs de l'élite. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que j'ai enregistré des données sur des jeunes joueurs d'élite qui démontrent qu'une marge de progression de 89% sur un indicateur de performance est possible. 89% de marge de progression en sortie d'un processus d'élite, c'est surprenant non?
  • Pourquoi est-ce que les joueuses/joueuses sont en dessous de leur potentiel ? Parce que personne n’a détecté ni levé les limitations qui maintiennent la sous-performance. Avec le temps, le joueur ne progressant plus, il pense être arrivé à son niveau maximum. Alors que ce n'est pas le cas. Il peut encore progresser mais ne le sait pas. Le processus d'entraînement/de formation a peu ou pas d'effet car la limitation maintien, réitère la limite dans une sorte de boucle récursive.
  • Pourquoi ces limitations ne sont pas détectées et levées ? Tout d'abord parce que personne ne centralise et ne croise les connaissances qui permettraient de matérialiser les limitations. Ensuite parce que les intervenants ne peuvent pas mettre en oeuvre un protocole pour lever des limitations qui ne sont pas identifiées. Exemple : Je suis joueur. J'ai une limitation visuelle qui me rend sous-performant. Je ne le sais pas. Je pense être à mon max, je m'entraîne 4 heures par jour et sors d'un centre de formation. Un jour, j'ai rendez-vous chez un ophtalmologiste qui m'indique qu'il y a une limitation mais qu'elle est très courante. Cette limitation, qui a des conséquences sur les douleurs lombaires de monsieur tout le monde par exemple, va aussi limiter ma performance de façon "discrète". Monsieur tout le monde peut vivre avec des limitations de performance sans que cela ne l'empêche de vivre. Mais un joueur qui souhaite arriver à son potentiel maximum n'y parviendra pas. Pour la médecine traditionnelle, ces petites limitations n'entraînent pas de conséquences importantes. Elles sont donc peu ou pas prises en charge. Le secteur sportif lui n'en a pas ou peu entendu parler, il n'a en général pas les compétences et/ou le temps pour s'y intéresser. Il travaille sur le geste technique, le jeu, le physique, éventuellement le mental. Mais pas les limitations de performance. Comme ce n'est pas une maladie (et donc qu'un traitement au sens médical ne s'impose pas) et que ce n'est pas du technico-tactique (donc pas dans les habitudes des cadres), il y a une sorte de carence sur cet aspect. Le joueur pense être au max alors qu'il lui reste une marge de progression conséquente.

Comprendre ce qui conduit à la médiocrité

Comprendre ce qui conduit à la médiocrité revient à s'interroger sur les causes de la sous-performance chronique et normalisée des joueurs. J'ai isolé quatre causes principales qui pour moi condamnent les joueurs à la médiocrité. Elles sont quelques fois complémentaires, conccurentes ou antagonistes, dans un système complexe et dynamique  :

  • une abondance d'informations mais pas ou peu (trop peu) de connaissances ;

  • Une vision court-termiste ;

  • Une vision modélisée ;

  • Une vision fermée du pratiquant.

Il en existe de nombreuses autres : le manque d'individualisation (comme la confusion entre individuel et individualisé), le découpage de la performance en autant d'éléments de performance et en autant d'intervenants, la pression de conformité, la reproduction sportive, les carences en gestion humaines, etc. Certaines causes ont été identifiées et font maintenant l'objet d'une sensibilisation dans les formations de cadres.

L'information

Le basket est un monde d’informations, les informations sont partout : évaluations, résultats, blogs, sites, journaux, etc. C'est un sport éminement statistique et informationnel. Mais ce n'est pas un monde de connaissances : Il y a très peu de publications scientifiques sur le basket, peu de recherches et d'études qui apportent des éléments de compréhension. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à le regretter puisque Micah Lancaster, celèbre coach individuel américain, remarque que la recherche dans ce secteur est très circonscrite. Quelques études par an, les meilleures années et souvent décontextualisées (en laboratoire).

Dans les structures du basket, il existe peu de données longitudinales du suivi des joueurs. Il n'y a ni les ressources, ni les compétences pour collecter, traiter et compiler les données dans un but de connaissance.

L’évaluation est un exemple d’information au basket : On n’en tire aucune connaissance sur le joueur. -5 ou 24 d’éval, ça informe sur la performance lors d’un match, mais aucunement sur le pourquoi et le comment (la connaissance). Quelle connaissance peut-on tirer de l’évaluation d’une contre-performance pour éviter qu’elle se reproduise ? Qu’il faut perdre moins de ballons ? Tirer plus ? Ce n’est aucunement une connaissance.

La connaissance permet de préserver de la reproduction des contre-performances et des blessures, ce que j’appelle les événements indésirables, grâce à des éléments de compréhension.

L'information ne contient pas d'éléments de compréhension, il s'agit juste de faits qui sont communiqués. Elle doit être analysée et traitée pour, peut-être, devenir de la connaissance.

Le monde du basket préfère l’information, à l’image de la société actuelle. Cette dominante informationnelle conduit nécessairement à une vision court-termiste.

Le court-terme

En effet, l’information est si abondante qu'elle a un temps de vie très court. Elle est vite remplaçée par une information plus récente. Elle permet d’adapter, d’amender, de replanifier des soins, des trainings, des récups, etc. C'est comme la canne d’un aveugle, ça permet de gérer l'environnement immédiat mais... pas de recouvrer la vue. L'échelle de temps est la journée de championnat. L'échelle de progression du joueur est tout au plus la saison. Après.. qui sait... quel club, quel entraîneur?

Les résultats sont recherchés à court-terme (prochain match) alors que la progression comme la performance sont des objectifs de long-terme. Même chez les plus jeunes, le diktat des résultats raccourci le temps. La victoire devient l'objectif de formation, le plaisir à la pratique s'externalise et devient celui des résultats, avant de devenir celui du salaire un peu plus tard. Le joueur pourrait apparaitre alors comme une machine, d'ailleurs ne dit-on pas "quelle machine ce joueur" quand il enchaîne les résultats? Si le joueur est une machine, c'est cependant une machine humaine, pas une machine artificielle (type programme informatique). La machine humaine et la machine artificelle ne fonctionnent pas de la même façon. Elles n’ont même rien en commun.

Une action sur une machine artificielle entraîne un effet déterminé (je clique sur un bouton, la fenêtre s’ouvre), connu à l'avance. Une action sur une machine humain entraîne par contre des effets indéterminés : interactions, rétroactions, émergences, etc. L’entraîneur pense que son action entraîne un effet « typique », mais c’est une simplification. Tel discours donnera telle réaction, telle séance donnera tel résultat... si cétait si simple! 

Une vision court-termiste est nécessairement érronée avant tout parce qu'elle ne s'inscrit pas dans le temps de performance du joueur. Je pense que Guillaume Vizade nous le démontre assez bien à Vichy, comme Jean-Christophe Prat à Paris, le temps de la performance du joueur est celui nécessaire pour équilibrer un système complexe de performance à la fois technique, physique et mental dans un contexte individuel et collectif. Si le temps de performance du joueur n'est pas respecté, l'ordre devient désordre, les complémentarités deviennent des antagonismes, l'organisation devient chaos et le joueur ne performe pas, ou pas de façon efficiente (irrégularités dans la performance, indisponibiltés à cause de blessures).

Le modèle

C'est pour s'aider dans le traitement des informations, se rassurer dans la recherche de performance que beaucoup d'entraîneurs appliquent ou se réfèrent à des modèles. Les modèles se sont des schématisations simplifiées de la performance. Il en existe des centaines, des milliers mêmes. En simplifiant, réduisant, le modèle mutile en réalité la performance.

Il y a quelques années, jécrivais "Coacher dans la complexité" et j'avais pour objectif de construire le modèle parfait. Je voulais trouver l'équation de la performance. J'y croyais dur comme fer. Quelle utopie, que j'étais loin du compte... J'ai compilé plus de 60 modèles. Le meilleur modèle au monde n'est qu'un schéma vague et artificiel de ce qu'est la performance d'un être vivant.

Il est sans-doute plus simple de prévoir la météo que la performance. Pourtant on se trompe beaucoup sur la météo.

La modélisation de la performance est nécessairement tronquée et déficiente. Elle simplifie inévitablement la performance, la rend sans doute plus accessible mais par là même s'en éloigne. C'est assez logique puisque le modèle dépend du point de vue de l'observateur et ne peut pas contenir ce que l’observateur ne connaît pas, comme ce qu'il n'arrive pas à appréhender ensemble parce que c'est pour lui conccurent ou antagoniste, tout simplement trop complexe.

Cependant ce n’est pas parce qu’il ne connaît pas quelque chose que ça n’existe pas (Nos connaissances comme notre entendement ont leurs limites). Il y a beaucoup de choses que l'on connait mieux aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Et beaucoup d'autres que l'ont ne connait pas encore... 

L'incomplétude

Le monde du basket est un monde d’informations, à court terme, qu’on modélise. C'est aussi un monde avec une vision partielle. Ce n'est pas les 20% maximum du temps que le joueur passe au basket (pour celui qui y passe 4 heures par jour) qui permettent d’avoir une vision globale du système-athlète. Prenez un texte de 100 mots, enlevez-en 80. Vous pensez que vous comprendrez le texte?

Pourtant c'est ce que les entraîneurs peuvent avoir la conviction de faire. Ils ont des certitudes alors qu'il leur manque 80% du texte. Pensons à l’entraîneur qui dispose d’une séance par semaine, soit 1.1% du temps hebdomadaire d’un joueur. Comment pourrait-il approcher la globalité d'un joueur? Ce n'est tout simplement pas possible.

Sans vision globale on est pourtant contraint à une sous-performance chronique normalisée. Il ne faut pas s'en émouvoir en réalité, c'est tout à fait normal. Ce que le joueur mange, comment il dort, comment il respire, comment il s'est "câblé" dans son enfance, quel est son environnement de vie,etc., autant de connaissances qui font défaut.

Alors quelques fois on gagne, les joueurs ont été bons, et quelques fois on perd, l'entraîneur a été mauvais. Mais en réalité l'entraîneur n'a que très peu de contrôle sur la prestation d'un joueur. Nous sommes des créateurs d'environnement bien plus que toute autre chose.

Beaucoup d’informations et peu de connaissance, la majorité du temps à court terme, qu’on tente de modéliser sur la base de ce qu’on pense comprendre, tout en sachant qu’il nous manque entre 80 et 99% (pour l'entraîneur qui ne dispose que d'uen séance par semaine) du contexte, comment voulez-vous que j'intitule mon article : Les habitudes de l'excellence?

Pourtant nous sommes vice-champion olympique chez les hommes et 3ème chez les femmes. Autrement dit tout va bien dans le meilleur des mondes, aucune remise en question n'est nécessaire. On pourrait se dire que tout est parfait puisque nous obtenons de tels résultats.

Ce n'est malheureusement pas mon analyse. Mon analyse c'est comment faire mieux demain, comment rendre ces résultats meilleurs et les pérenniser dans le temps. Mais chez les jeunes aussi les résultats ont été très bons cet été me direz vous. Vous avez raison. Et si je vous disais que ces jeunes ont encore une marge de progression conséquente, très conséquente même?

La sous-performance chronique normalisée n'est pas un problème français, c'est un phénomène qui impacte toutes les nations, dans tous les sports. J'en parle dans le basket car c'est mon sport, mais l'herbe n'est pas plus verte ailleurs. Comment garder sous silence la connaissance suivante : Tous les joueurs sont en dessous de leur potentiel!

Si on peut faire mieux avec les 0.018% des joueurs français les plus performants, imaginez ce que l'on peut faire avec les 99.98% des autres joueurs français?

Comment lutter contre ce phénomène?

Je cherche à neutraliser la sous-performance chronique normalisée avec un système déployé en novembre 2020 qui apporte des connaissances individuelles, sur le long terme (quelque soit le club, la durée), sans modèle préalable et avec la vision la plus globale possible.

En juillet et août 2021, sur 40 joueurs suivis, de tous niveaux, 100% des joueurs suivis avec ce système ont eu des résultats qu'ils n'ont pas obtenu auparavant, dont des progressions pouvant dépasser les 200% de taux d'évolution!

200% d'évolution ça veut dire que l'indicateur de performance mesuré est 3 fois meilleur après 4 semaines qu’avant ces 4 semaines. Une progression en 4 semaines supérieure à une dizaine d’années. Comment c'est possible?

Tout simplement parce que durant ces années, le joueur a progressé avec des limitations agissant comme un plafond dans le développement de ses capacités et de son expertise. Toute progression supérieure était impossible en raison de ces limitations. Elles n'ont pas été connues et comprises, pourquoi? Parce que le monde du basket n'avait pas les connaissances, une vision à trop court-terme, une performance trop modélisée et une vision trop étriquée du joueur.

Les habitudes du monde du basket condamnent les joueurs à la médiocrité et seuls celles et ceux avec un don s'en sortent, ces célèbres 0.018%. J'ai des données qui le prouvent, une réflexion qui l’explique et des résultats qui le concrétisent.

Les habitudes du monde du basket font perdre beaucoup de temps, d'énergie, de motivation, même d'argent, lors de processus d'entraînement à l'aveugle qui caractérisent l'errance sportive que je dénonce et qui conduisent à une sous-performance chronique et normalisée.

Je ne dis pas que les entraineurs ne sont pas bons, je dis qu'ils sont ancrés dans des habitudes de sous-performance chronique et normalisée : Beaucoup d’informations mais peu de connaissances pour les aider dans une gestion à court-terme, sur la base de modèles de performance artificiels et d’une vision réductrice des joueurs.

En continuant comme aujourd'hui, sans rien changer, on sortira toujours une équipe de France compétitive dans 10 ans, parce qu'il s'agit de 30 joueurs et joueuses sur 160 544 (chiffre 20/21 des licenciés). Soit 0.018 % des joueurs. Les joueurs surdoués sur le plan sportif, c'est à dire ceux qui n’ont pas ou peu de limitations, même s’ils sont sans doutes encore en dessous de leur potentiel max (ici aussi j'ai des données chiffrées) resteront durdoués. Des sur-doués sous-performants, c'est cela la réalité.

Les 99.98% de joueurs qui n'ont pas ce talent naturel sont condamnés à rester en dessous de leur potentiel parce que leur talent naturel est moindre et donc à s'exprimer dans le jeu, sur le terrain, à un niveau de compétence inférieur à celui qu'ils auraient pu atteindre.

Je rencontre de plus en plus d’entraîneurs et de clubs qui ne veulent plus condamner leurs joueurs à la médiocrité, qui attendent plus que la réussite des 0.018% surdoués sur le plan sportif. Les choses sont en train de changer, je le constate depuis plusieurs années déjà. Et ça s'intensifie.

Je conçois que le terme de médiocrité puisse être choquant pour le lecteur. Mais cela désigne "ce qui n'est pas très bon, inférieur à la moyenne, peu important ou peu digne d'être remarqué". C'est exactement ça la sous-performance chronique et normalisée, c'est garder les joueurs à un niveau de performance qui est inférieur à leur plein potentiel.

La progression de 200% que j'évoquais n’est pas apparue une fois au détour d'un joueur donné, ce n'est pas une anomalie, elle apparait de façon aussi significative chez de nombreux joueurs différents, avec des causes différentes et des limitations différentes, quel que soit le niveau, Amateur/Pro/International, Région/CDF/Ligue...

Les connaissances obtenues confirment que c'est bien toutes les catégories de joueurs qui sont touchées par la sous-performance chronique normalisée. Il ne s’agit pas de se positionner en moralisateur, ni d’heurter pour heurter, mais bien d'exposer les limites d'un système qui conduit à la sous-performance chronique et normalisée des joueurs, de pousser à la réflexion et je l'espère vraiment à l'action.

Andy HYEANS

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07/09/2021